Où il est question de quitter les territoires mortifères,
des modes d’identification de Philippe Descola,
de la discrétion mais pas celle à laquelle on pense,
de nouveau des prouesses inquiétantes de l’intelligence artificielle,
mais aussi de l’aventure d’une préface…
notes du 11 au 15 décembre 2022
Alors le boulot, mon boulot ?
Eh bien, il repose peut-être sur cette remarque de Cynthia Fleury, dans le sillage de Barbara Cassin : « La langue fait grillage et elle organise incognito la disparition de la seule chose qui fasse valeur, l’inconnu, soit la base de la connaissance. ». Donc, contrairement à ce que semble penser la maire écologiste, tenter de diffuser, de mettre à la portée de qui veut, librement, de la poésie, de la littérature, des textes qui ouvrent sur l’inconnu, la connaissance, cela a peut-être un sens, voire un sens écologique !
C’est aussi tenir compte de la vraie nature de l’homme : « L’individu est par essence un passe-muraille. Il traverse les mondes, les sphères de valeurs, et par ces itinéraires croisés accède à l’individuation » (p. 144)
Quitter les territoires mortifères…
Je lis sur le site Actualitté cette présentation d’un livre de Christian Arnsperger, intitulé L’Existence écologique. « Rendre la vie possible sur terre implique alors non seulement des réformes structurelles, mais aussi de nous réinventer afin de quitter, en nous, les territoires mortifères qu’exploite le capitalisme de la croissance. Si le rêve communiste d’un ‘Homme nouveau’ est déchu, notre nature humaine n’est pas figée pour autant. À nous de nous rendre réflexifs sur nos fragilités, d’y travailler collectivement par des solutions non consuméristes en rouvrant les horizons d’expérimentation que nous offre notre ‘plasticité anthropologique’. C’est de cette réforme anthropologique et d’un nouveau rapport au vivant que peut naître, pour une humanité plus sereine, un mode d’existence écologique post-capitaliste. »
→ nous réinventer, quitter les territoires mortifères qui sont ceux d’une domination, horizons d’expérimentations, plasticité anthropologique… je pense qu’on est ici tout près de certains aspects de la pensée de Cynthia Fleury.
Et des premières pages du livre qui sont accessibles au cœur de cet article, j’extraie ces mots : « La ‘science’ économique dominante qui colonise depuis des décennies les universités, mais aussi les médias, a partie liée avec le déni de la mort et de la fragilité existentielle, donc avec l’apparente toute-puissance de l’idée de croissance. Nous décoloniser de ce déni et de cette toute-puissance, c’est d’abord devoir reconnaître notre aliénation et, pour la dépasser, prendre conscience des horizons d’expérimentation que nous ouvre notre plasticité anthropologique. » (extrait de L’Existence écologique, de Christian Arnsperger, Le Seuil, janvier 2023, p. 8)
Autre extrait : « Bien entendu, notre liberté de nous refaçonner est loin d’être absolue et sans bornes : nous restons mortels, fragiles et finis. Mais cette mortalité, cette fragilité, cette finitude forment un habitus existentiel qui, enveloppant nos possibles et les bornant, nous libère pour l’exploration de tout ce qu’il ne limite pas. Font partie de notre condition humaine les données biologiques (cerveau évolué, fragilité de l’organisme, adaptabilité, etc.), nos circonstances géographiques (climat, topographie, biotopes, etc.) et nos circonstances sociales et historiques (culture, conventions, visions du monde, technologies, etc.). Mais voici l’important, qui change tout sans pour autant tout permettre : fait également partie de la condition humaine une capacité fondamentale de recul, une capacité innée à nous distancier de l’inné en nous, une capacité que je nomme plasticité anthropologique. »
Cela encore, qui résonne tellement avec tout ce qu’écrit Cynthia Fleury : « Nous sommes des êtres aliénés : nous portons en nous des potentiels humains non actualisés qui nous sont rendus inaccessibles. Le système économique en place occulte ces potentiels et nous rend étrangers à nous-mêmes. Et pourtant, nous adhérons à ce système par nos pratiques : travail, consommation, marketing, épargne, investissement, etc. L’un des symptômes de notre aliénation est notre relative absence de questionnement critique et existentiel. »
A propos de cet article
J’ai donc quitté Twitter ne supportant plus ce qui s’y passe, les dires et agissements de son nouveau patron. Est-ce pour autant me couper de sources d’information qui me sont utiles (je suivais par exemple le site Actualitté sur twitter). Eh bien, non, il existe d’autres solutions. J’ai réactivé un bon lecteur de fils RSS, dans lequel j’ai inscrit les quelques sites suivis via Twitter et qui m’apportaient des informations utiles.
Les modes d’identification (Philippe Descola)
Je reprends la lecture de La composition des mondes, un livre d’entretien de Pierre Charbonnier avec Philippe Descola recommandé par Isabelle Baladine Howald pour m’aider à entrer mieux dans Par-delà nature et culture. Philippe Descola à qui j’ai touché deux mots de ce détour lorsque je l’ai rencontré à la remise des Prix de l’Académie et qui m’a confirmé que c’était une excellente idée. Il était accompagné de son épouse, Anne-Christine Taylor qu’il évoque souvent, notamment lorsqu’il parle de leur long séjour chez les Achuar, en Amazonie, leur premier « terrain » de jeunes ethnologues et le fondement de tout le travail à venir. Je me souviens d’ailleurs qu’il raconte leur difficulté à se réinsérer dans notre monde et cela résonne avec tout ce que je viens d’écrire ! « C’est la rencontre avec une altérité radicale qui m’a rendu conscient du fait que la boîte à outils conceptuelle que j’avais emportée sur le terrain ne m’était pas d’un grand secours pour comprendre ce que j’avais sous les yeux. (…) Chez les philosophes, la disposition à ne rien tenir pour acquis procède pour ainsi dire de l’intérieur. Kant illustre très bien cet héroïsme intellectuel, lui qui a eu une existence incroyablement réglée de petit-bourgeois, mais qui en même temps a pensé des choses si originales par rapport à son temps. Je trouve absolument extraordinaire ce genre d’imagination aventureuse, mais j’en suis moi-même incapable : il m’a fallu partager la vie de gens dont les actions sont assez souvent énigmatiques, dont les propos apparaissent très étranges, et vont tellement à l’encontre des manières d’être que l’on a l’habitude de tenir pour normales, pour que je sois incité à remettre en cause les outils intellectuels au moyen desquels je m’efforçais de saisir cette étrangeté. » (p. 247)
Au fil de tout un cheminement, travaillant sur l’articulation nature et culture, observant ces peuples qui n’ont pas du tout le rapport distant que nous avons avec les plantes ou les animaux, Philippe Descola va en venir à considérer quatre modes d’identification : l’animisme, le totémisme, l’analogisme et le naturalisme. Il s’agit en somme de « dépasser le dualisme qui oppose nature et culture en montrant que la nature est elle-même une production sociale, et que les quatre modes d’identification qu’il a distingués et redéfinis (totémisme, animisme, analogisme et naturalisme) ont un fort référentiel commun anthropocentrique. Ainsi, l’opposition nature/culture n’a plus guère de sens, explique-t-il, car elle relève d’une pure convention sociale. Il propose alors en vertu de ces propositions de constituer ce qu’il nomme une ‘écologie des relations’. Il s’agit d’une anthropologie non dualiste, en ce sens qu’elle ne sépare pas en deux domaines ontologiques distincts humains et non-humains, une anthropologie donc qui s’intéresse aux relations entre humains et non-humains autant qu’à celles entre humains.».(source)
De la discrétion
Je reprends aussi, parmi les lectures suspendues par tous les travaux pour imaginer puis monter de toutes pièces un nouveau site, un nouveau lieu pour Poezibao, je reprends Apologie de la discrétion de Lionel Naccache. Discrétion qui ici n’est en rien synonyme d’effacement, d’humilité, qui n’est pas une qualité morale mais discrétion qui s’oppose à continuité. Dans le domaine mathématique, un système discret est un système où les composantes sont séparées.
Sept fois la langue dans sa bouche
Dans son analyse scientifique sur la discrétion de la vie mentale, Lionel Naccache expose des mesures sur ce qui se passe, en fait, dans le cerveau, par exemple lorsque nous lisons quelque chose. Voici un extrait de ce passage, car il est savoureux ! « La distance entre le lobe frontal, qui est riche en neurones de l’espace de travail global, et la région de la forme visuelle des mots, que nous avons identifiée et baptisée dès l’an 2000 avec Laurent Cohen et Stanislas Dehaene, est de l’ordre de 15 centimètres (0,15 mètre) dans un cerveau adulte (Cohen, Dehaene et al., 2000). La vitesse de conduction moyenne des neurones corticaux impliqués dans cette communication peut être approximée à environ 20 mètres par seconde. Il s’agit d’un mini circuit constitué d’une ou de deux synapses, ce qui permet de négliger dans notre calcul les temps de transmission synaptique entre les neurones impliqués. On en déduit que le trajet simple entre le réseau de la lecture et un point d’entrée dans l’espace de travail global dure environ : 0,15/20 = 7,5 millisecondes. Une boucle de communication entre ces régions dure donc environ 15 millisecondes. D’où l’on déduit que le temps requis pour l’amplification attentionnelle (100 millisecondes) correspond à environ 7 boucles réentrantes. En griffonnant ce calcul approximatif, le souvenir d’un fameux proverbe s’est invité aussitôt dans mon espace de travail global : « Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. » (Apologie de la discrétion, p. 123)
La discrétion de la discrétion
Long développement dans le livre de Lionel Naccache sur ce qu’il appelle « la discrétion de la discrétion », entendue la seconde fois au sens mathématique de ce qui n’est pas continu. Il montre, en prenant notamment des exemples dans le domaine de la psychiatrie, que si nous ne sommes pas conscients de la discontinuité essentielle de notre vie mentale, c’est parce qu’en prendre conscience serait trop déstabilisant pour notre sentiment d’identité. « Notre regard subjectif sur nous-mêmes est enfermé dans la scène unifiée de notre conscience qui masque le Meccano sous-jacent de notre esprit [et] il nous est dès lors extrêmement difficile de prendre conscience de la mosaïque discrète qui pourtant compose notre vie mentale, et que la neuropsychologie parvient à mettre en évidence. » (p. 134).
J’aime qu’il cite l’extraordinaire passage de la Recherche où, Albertine partie, le narrateur montre comment chacun de ses multiples « moi » prend à son tour et successivement connaissance de ce départ. « À chaque instant il y avait quelqu’un des innombrables et humbles “moi” qui nous composent qui était ignorant encore du départ d’Albertine et à qui il fallait le notifier. »
Petite grappe de lecteurs
Trois petits enfants très aimés entre 6 et 10 ans collés côté à côté sur un siège avec leurs livres – ils se tiennent chaud entre eux et avec leurs livres – le plus petit est plongé dans un Wimmelbuch allemand, ces livres grand format fourmillant de mille détails sur le même principe que Où est Charlie ?), l’ainée lit Astrapi et entre les deux, dans son habituelle position d’entre deux, L. dessine.
J’ai pu feuilleter récemment un livre de Timothée de Fombelle s’amusant à observer et répertorier des dizaines et dizaines d’attitudes d’enfants lisant. Auteur jeunesse, il est constamment dans des lieux où il voit les enfants lire. Magnifique idée.
Une position de lecture
Sur un banc bleu, au square – elle est assise en biais dans une position bien particulière – le bras est appuyé sur un gros sac à dos qui joue les accoudoirs et la main enveloppe complètement le visage – cheveux blonds attachés en queue de cheval – la main droite tient le livre et la cuisse droite épouse le banc puis part en diagonale prendre appui sur le sol – la jambe gauche est relevée, pliée, pied sur le banc.
A travers les fleurs de printemps
Je la vois à travers les fleurs de printemps avec son petit chouchou en haut de la tête à la racine de sa queue de cheval – elle a déployé une serviette bariolée sur la pelouse, s’y est étalée de tout son long, les deux avant-bras croisés appuyés sur le sol – la main gauche qui tient le livre (qui restera inconnu) a les doigts très écartés et passe sous la main droite – jeu des pages du livre et du bord retroussé de la serviette – sur le sac posé au sol, vert céladon, une volée de lettres et je déchiffre stradivarius – mais peut-être est-ce comme pour beethoven le chien et qu’il ne s’agit en rien du luthier ? j’aurais bien aimé savoir ce que lit stradivaria !
Une bulle ?
Hypothèse : le lecteur du simple fait d’ouvrir son livre crée une bulle autour de lui, il s’isole comme s’il refermait son corps autour de son livre, comme si le corps était trop grand pour rentrer dans le livre !
Flacon de sels
écouter l’incroyable silence qui règne dans mon bureau, tellement paradoxal puisque je suis en pleine ville et que je la vois, cette ville, à mes pieds (je ne suis pas Rastignac !), milliers de toits, vue très lointaine à l’est comme à l’ouest mais je ne vois pas une seule voiture, quarante ans que ça dure et cela m’émerveille toujours autant – construire toute seule un nouveau site, découvrir des procédures, des possibilités et s’amuser beaucoup ! –
Pieds nus
J’adore quand les lecteurs enlèvent leurs chaussures. Veuillez noter que c’est assez fréquent. Celle-ci les a posés à côté du seul pied que je vois. Elle est assise en biais (c’est aussi une position assez fréquente) sur le blanc bleu – je pense qu’elle porte un jean dont je ne vois qu’un revers et une jolie blouse blanche ample à fleurs – les cheveux, relevés, sont roux – je ne peux hélas déchiffrer quoi que ce soit de son livre ouvert.
De l’éducation
Je termine ma première lecture de Les Irremplaçables de Cynthia Fleury, livre qui se clôt par un chapitre sur l’éducation. « Personne ne veut se montrer à la hauteur de l’agressivité des individus que nous sommes devenus » : terrifiant constat que cette agressivité qui nous caractérise tous et constat que fait Cynthia Fleury en ayant le courage moral de ne pas surplomber ce fait comme s’il ne la concernait pas. Elle parle du « désœuvrement parental qui n’est que le nom particulier d’un désœuvrement plus général ».
→ On peut penser qu’il y a un énorme vide qui s’est créé après la fin de la plupart des croyances, religieuses ou politiques, dans les pays occidentaux en tous cas. Autrefois les églises (parfois les partis !) éduquaient, apprenaient aux être à grandir (dans le meilleur des cas, parfois au contraire, trop souvent en fait ils contribuaient à les maintenir en état de minorité, non aptes à se former eux-mêmes). Qui dit à un enfant, aujourd’hui, même dans un milieu non-défavorisé qu’il est acteur et responsable de ce que Cynthia Fleury appelle son individuation, autrement dit son développement en tant qu’être humain irremplaçable, quelles que soient les conditions de sa naissance ? Question de Cynthia Fleury : « Jusqu’où cette vie qui est leur les concerne-t-elle ? ». (p. 177). Bel appui pris sur Kant « On peut ou bien se borner à dresser l’homme, à l’entraîner, à l’instruire mécaniquement, ou l’éclairer réellement. on dresse les chiens, les chevaux, on peut aussi dresser les hommes (…) Mais le dressage ne pourvoit pas à tout, il importe en priorité que les enfants apprennent à penser. » Le recours à la discipline n’est pas récusé, non pour faire disparaître l’irremplaçabilité de chacun mais au contraire la sculpter, la faire apparaître formellement. Et plus loin Cynthia Fleury avance que « l’éducation, si intime soit-elle, reste l’entreprise publique majeure, non parce qu’elle doit être confiée aux seules institutions publiques, mais parce qu’elle consolide la qualité du projet politique en tant que projet de la raison humaine. » (p. 179). Elle va même encore plus loin liant ce qui se passe entre parents et enfants et ce qui se passe à l’échelle d’un pays : « D’une certaine manière, la singularité de l’amour, la singularité de la transmission, cette qualité-là vient alimenter le grand projet éducationnel global, non pas de façon volontaire, ni même consciente. Mais par irrigation. Nous travaillons tous, en tant que parents et enfants, au progrès de l’éducation. L’amour dont nous enveloppons nos enfants irradie au-delà d’eux. Il nourrit un geste plus global, un geste qui n’est pas exclusivement intime, mais qui est humain. C’est l’aspect politique de l’amour : il construit inlassablement » (p. 180)
Un poème sur le temps qui passe
J’ai dû revenir à ce système de production de langage, basé sur l’intelligence artificielle, Chat-GPT, pour le tester plus avant. Pour cela je lui ai demandé « d’écrire un poème sur le temps qui passe ». Voici sa réponse (3 secondes) !
Le temps qui passe, inexorablement,
Emporte avec lui nos jours éphémères.
Il nous ravit notre jeunesse dorée,
Et nous laisse, vieillis, au seuil de la tombe.
Le temps qui passe, c’est comme un fleuve en crue,
Qui charrie notre vie vers l’océan de l’oubli.
Il ne laisse derrière lui que des souvenirs,
Qui s’effacent peu à peu comme des images floues.
Le temps qui passe, c’est un voleur insidieux,
Qui nous dérobe les instants les plus précieux.
Il nous prend nos rêves les plus fous,
Et nous laisse seuls, face à nos peurs.
Mais malgré tout, le temps qui passe
Nous offre aussi de nouvelles aventures.
Il nous permet de rencontrer de nouvelles personnes,
De découvrir de nouveaux horizons.
Alors ne craignons pas le temps qui passe,
Mais profitons de chaque instant,
Pour vivre pleinement notre vie,
Et laisser derrière nous des souvenirs inoubliables.
→ cela laisse un peu pantois, non ? La forme d’abord, avec des décasyllabes bien comptés pour la plupart et le fond, banal certes, mais pas mal vu, surtout à partir de cette simple question. On imagine l’immensité des sources brassées. Je viens d’écouter une émission de France inter sur le sujet avec un chercheur du CEA, Alexeï Grinbaum, qui expliquait bien que la machine ne pensait pas, qu’elle n’avait pas d’avis. Qu’il y avait en fait deux couches en quelque sorte, sa base de données établie en ingurgitant des milliards de pages sur Internet, à longueur de temps et une couche de contrôles qui permet d’éviter certaines dérives. Elle ne travaille pas à partir du sens, en réalité et c’est cela qui est fascinant.
Une question à propos de Philippe Descola
Nouvelle question à Chat-GPA : Quels sont les 4 modes d’identification selon Philippe Descola et peux-tu en donner une brève description ?
Réponse, moins de 2 secondes : « Selon Philippe Descola, il existe quatre modes d’identification : l’identification naturaliste, l’identification animiste, l’identification totémique et l’identification analogique. L’identification naturaliste est le mode d’identification qui considère que les êtres humains et les autres éléments de la nature font partie d’un même monde et sont soumis aux mêmes lois physiques et biologiques. L’identification animiste est le mode d’identification qui considère que les êtres humains, les animaux et les plantes ont des âmes ou des esprits et sont donc capables de penser et d’agir de manière autonome. L’identification totémique est le mode d’identification qui considère que les êtres humains sont liés à certains animaux ou à certains éléments de la nature par des liens de parenté ou de filiation. L’identification analogique est le mode d’identification qui considère que les êtres humains et les autres éléments de la nature sont organisés selon des modèles ou des formes universelles, comme les quatre éléments (terre, air, feu et eau) ou les cinq sens. Ces différents modes d’identification sont des façons différentes pour les sociétés humaines de comprendre leur place dans le monde et de construire leur identité collective. Ils reflètent les croyances, les valeurs et les pratiques de chaque société, et influencent les relations qu’elle entretient avec la nature et les autres sociétés.
→ Les 4 modes sont bien définis et nommés mais je ne crois pas que les définitions surtout pour le naturalisme et l’animisme soient parfaitement justes par rapport à la pensée de Descola.
Maths et anthropologie
Je continue à questionner GPT et lui demande successivement comment on calcule le volume d’une sphère puis ce qu’est le naturalisme selon Philippe Descola. Que la réponse soit parfaite pour les maths n’étonne pas, mais elle est bien structurée et claire pour Descola.
Traduire aussi
Une dernière question posée à Chat-GPT-3 : Peux-tu me rédiger en allemand une courte lettre de remerciement à une amie qui m’a envoyé des fleurs
Réponse : « Bien sûr, voici une courte lettre de remerciement en allemand que vous pourriez envoyer à une amie qui vous a envoyé des fleurs :
Liebe [Amie],
vielen Dank für die wunderschönen Blumen, die du mir geschickt hast. Sie haben mich sehr gefreut und haben meinen Tag sofort heller gemacht. Du bist eine gute Freundin und ich schätze deine Geste sehr.
Liebe Grüße, [Votre nom] »
→ les professeurs vont avoir du souci à se faire pour traquer les copies GPT dans la masse !
Lirisme
Des choses intéressantes dans le livre d’Aurélie Foglia, dont le titre, Lirisme, doit être compris comme construit autour de lire et pas lyre ! « à force les mots comme les hommes // se fatiguent un peu d’eux-mêmes de / leur jactance // il ne faut pas leur en vouloir les ormes // atteints de graphiose leurs feuilles se / crispent // dans son jet la sève s’arrête la croissance / stoppe net les livres // se figent à vue d’œil entre nos mains / saisies // voudraient naïvement vainement finir /d’accomplir leur geste. » (p. 16)
→ J’aime bien le glissement constant des deux images, celle du livre et des mots et celle de l’arbre qui se traduit d’ailleurs par de curieux et féconds glissements à l’intérieur des phrases qui s’agglutinent.
C’est aussi la lutte pour écrire « les mots me tombent des / mains // décrire déchiffrer me déserte » (p. 106)
Et sur les livres : « les livres il se trouve lisent à / tâtons des tombereaux de / livres dans leurs ombres par / nature pilleurs fils meurtriers de cimetières // vandalisent les voix tues / avec quelle dévotion aveugle / ne font-ils pas des feux de / feuilles clarifient les liens // charrient des os dans leurs / replis de chair trop claire des / échos de cris des choses // lancées à ceux qui sont déjà / désormais hors de portée / une pluie de plus délave / nos mots » (p. 119)
Échos
J’aime tellement trouver des échos des auteurs qui me sont chers, importants, dans des livres qui m’importent ! Ici c’est Lionel Naccache dans son passionnant livre sur la discrétion (discontinuité) qui cite mon cher Grothendieck dont l’approche m’a si durablement marquée.
« N’est-ce pas ce même sentiment de stupéfaction face à l’abracadabra de la géométrie euclidienne qu’avait ressenti le prodigieux mathématicien Alexandre Grothendieck dans ses jeunes années et qu’il exprima dans son autobiographique Récoltes et semailles : ‘Ce qui me satisfaisait le moins, dans nos livres de maths, c’était l’absence de toute définition sérieuse de la notion de longueur (d’une courbe), d’aire (d’une surface), de volume (d’un solide). Je me suis promis de combler cette lacune, dès que j’en aurais le loisir. J’y ai passé le plus clair de mon énergie entre 1945 et 1948, alors que j’étais étudiant à l’université de Montpellier.’ » (cité p. 160 dans Apologie de la discrétion).
De la discipline
Dont on pourrait aussi faire l’apologie à la suite de Cynthia Fleury, la discipline entendue dans un sens très positif, comme partie intégrante du processus d’individuation et du soin de soi. « La discipline n’est d’ailleurs pas assimilable à l’obéissance. Certes, elle peut se confondre avec elle, et manquer par là même sa valeur propre de force méthodologique. La discipline, à terme, c’est plus de vitesse, d’efficacité pour soi. Moins de fatigue aussi, moins d’épuisement. C’est un sens de la mesure au service de l’action, la sienne. Elle est nécessaire à l’individuation, d’autant plus nécessaire qu’elle peut être instrumentée au service d’un autre. Dès lors, elle se retourne contre l’individuation. Il est ainsi impératif de veiller à toujours la préserver pour soi, au service du souci de soi, et de la continuité qu’il forme avec le souci public. Plus l’enfant acquiert tôt la discipline, plus il est apte à l’orienter. La discipline est une réciprocité à elle toute seule. Elle fait découvrir l’autre en soi, celui susceptible d’atténuer les insuffisances du moi, et qui pourra régénérer le temps de trouver mieux. L’acquérir est difficile tant elle est subtile et se laisse confondre avec la subordination inutile. Preuve de son irremplaçabilité au service de l’individu, le pouvoir, les dominations de toutes sortes la traquent pour récupérer sa puissance. Mais ils ne la récupèrent jamais vraiment. Ils ne récupèrent que son ersatz, une forme d’obéissance dont la vérité n’est que la dissimulation. La discipline est le moyen de production qui appartient au soi, l’inaliénable moyen de production, au seul service d’une valeur ajoutée pour soi. En ce sens, la plus-value dégagée par la force collective de production n’est que la résultante des disciplines personnelles agrégées et contraintes. Certes, elles ne délivreront jamais leur valeur ajoutée finale. Mais le mécanisme de la contrainte est si puissant qu’elles font déjà l’objet, même dans leur version avariée, d’une usurpation. Heureusement, il n’est rien de plus aisé que de feinter la discipline et d’amoindrir sa force de production. C’est d’ailleurs une technique de résistance essentielle. La discipline est ce que l’individu offre à l’autorité, qu’elle renvoie à un augere extérieur – mais jamais tout à fait extérieur puisque l’ajout d’augmentation est en grande part le fait de l’individu — ou à l’auctor que chacun aspire à devenir. Elle est plus qu’une motricité de l’âme, elle est le principe cardinal des motricités, psychique et physique. » (p. 182-183)
Infusion
Une œuvre doit être une infusion de vie voire une transfusion, toucher à du vital et à l’énergie profonde.
Ivar Ch’Vavar
J’ai relu hier soir ma longue préface aux Échafaudages dans les bois d’Ivar Ch’Vavar dont le premier volume vient de sortir. Je suis contente car ça tient, comme aurait dit Antoine Emaz et surtout parce que ça rend compte de l’énergie colossale, irradiante que dégage l’œuvre d’Ivar Ch’Vavar. Il a eu le courage d’aller au-delà des premières couches, de forer loin et profond non sans avoir forgé ses propres outils, je pense au vers arithmonyme (même nombre de mots pour chaque vers) et surtout au vers justifié dont il est beaucoup question dans ce livre qui fait suite à Travail du Poème. Cette préface a marqué pour moi un tournant : elle m’a donné confiance par la confiance que me témoignait Ch’Vavar (dans son « avertissement », il dit m’embrasser publiquement pour avoir accepté une tâche à peu près suicidaire et que j’en suis sortie vivante) ; elle m’a fait prendre conscience, et je vois à mon début de relecture de l’ensemble, que cette prise de conscience est toujours en marche, de ce qui comptait vraiment pour moi dans la poésie ; et c’est au fond grâce à elle et à mes échanges d’alors autour de Jules Verne, que j’ai enfin réussi à lever cet interdit que je vivais, celui de penser mon propre livre.
La question de l’énergie
Elle est fondamentale. Tant de livres respectables, voire impeccables, me tombent des mains car ils ne transforment rien en profondeur, ne m’apportent rien de vital, de vivant sans doute faute de savoir aller assez profond et parce qu’ils en restent à des couches superficielles, celles où sévit l’égo en particulier, tellement étroit et limité. Une œuvre devrait transfuser de l’énergie à celui qui la lit, la regarde, l’écoute. Si j’écoute Bach -en ce moment j’ai repris L’Art de la fugue par Angela Hewitt pour mon dérouillage matinal et notamment les Contrepoints 11 et 13 (rectus et versus)-, c’est une vraie infusion que je reçois (au sens théologique du mot, d’une faculté qui pénètre l’âme, ce qui est assez cohérent quand il s’agit de Bach !). Les Apôtres avoient le don des Langues (les veinards !) par infusion, par l’infusion du Saint Esprit.