Où il est question de Béla Bartók, Schubert, Paul Valéry, Hélène Cixous, Jean-Michel Reynard, Antonio Porchia et bien d’autres encore.
La lumière
Plongée dans mes travaux photographiques, cours et pratique, je réfléchis à la lumière. J’ai souvent senti très concrètement qu’une certaine qualité de la lumière (automne ou printemps) pouvait générer en moi un extraordinaire sentiment de bien-être et de plénitude !
Photo, les hautes lumières
Un bon conseil de JC Dichant dans sa lettre quotidienne (il y a beaucoup de bons conseils, et très souvent !). Cela concerne les hautes lumières avec une règle que je ne connaissais pas : « En numérique une règle s’impose : exposer pour les hautes lumières. Les zones cramées ne sont jamais rattrapables tandis que les zones bouchées le sont en bonne partie. Réduisez le bruit numérique disgracieux en baissant la sensibilité ISO. Sous-exposez de 2/3 d’Ev (environ) pour densifier vos photos. Rééclairez les zones intéressantes, dont le sujet, en post-traitement.
→ J’ai bien vu qu’il était impossible de rattraper l’aplat blanc brut de la partition dans les photos que j’ai faites à la tribune de l’orgue de St François Xavier samedi dernier. Quelle que soit la méthode que j’utilise. Comme dit Dichant, c’est cramé !
Comme des portes
Ce sentiment que je peux entrer physiquement à l’intérieur d’une partition, d’un texte, comme s’y trouvaient ménagées des sortes de portes. Ce sentiment je l’ai éprouvé à deux reprises en rapport avec la Hongrie. Il y eut la Danse hongroise D 817 de Schubert, que j’ai remise sur le pupitre du piano, avec l’idée d’en apprendre au moins quelques mesures ou quelques lignes par cœur. J’essaie par exemple d’ouvrir quelques portes pour la mémoriser (la porte des répétitions, celle des reprises, celle de la direction de la courbe musicale et surtout toutes les portes de mon oreille, externe, moyenne, interne et même nerveuse !) Et je me souviens de cette injonction de la professeur de piano dans l’enfance à « faire des remarques » pour mieux mémoriser la musique.
Et puis ce soir, lisant le beau livre de Laetitia Le Guay, Béla Bartók, (Actes Sud, 2022)l’envie, très concrètement et pas intellectuellement par une représentation, mais comme en chair et en os, d’entrer dans les lieux décrits, par exemple des quais de Budapest, lors d’inondations du Danube. Près de Béla Bartók en observation de ce tourbillon impressionnant.
Coïncidence
Incroyable ! une demi-heure plus tard, dans le livre sur Bartók, évocation de la mélodie hongroise de Schubert et étrange analogie entre deux circonstances. Bartók entend un jour une mélodie populaire, ‘la Pomme rouge’, qui deviendra « l’emblème d’une épiphanie », en ce sens que cette première audition va littéralement fonder sa décision de collecter toutes les mélodies populaires possibles, en Hongrie bien sûr, mais plus tard de façon plus large, jusqu’en Roumanie par exemple. Schubert, lui, en 1824, au retour d’une promenade entend une servante chanter le thème de la Mélodie hongroise D 817 (dont j’apprends qu’elle est reprise dans l’Allegretto du divertissement à la hongroise D 818, que j’écoute sur youtube pour 2 pianos, dans une version que je n’adore pas mais avec une illustration fascinante, deux jeunes femmes dans un train, l’une dort, l’autre lit…une image à décrire dans le projet Lire !
Zoltán Kodály
Bartók et Zoltán Kodály ont entretenu une grande amitié et ont beaucoup travaillé ensemble à la collecte des mélodies populaires d’Europe centrale. « Les deux jeunes artistes portent la même double aspiration : composer une musique d’avant-garde hongroise et recueillir le patrimoine rural ancien. Bartók a connu Zoltán Kodály par l’intermédiaire d’Emma Gruber qui va devenir sa femme en 1910 : « Artistes, intellectuels, randonneurs et végétariens, Emma et Zoltan partagent la passion de la photographie. Ils laisseront de nombreux clichés, notamment de Bartók, publiés en 2018 à Budapest dans Life on track Zoltán Kodály, une somme riche de près de 900 photos.
Je rêve de découvrir ce livre….
Joie, joie, joie
Joie, joie, joie, je l’ai retrouvée, quoi… la musique. Je m’inquiétais d’un éloignement qui tournait presqu’à la désaffection, ce qui était proprement inimaginable puisque cette passion me porte depuis l’enfance. Un grand trou d’air dont je ne m’explique pas bien encore les raisons. Certaines cependant peut-être, d’ordre matériel, presque technique : j’en ai eu assez soudain de ma manière d’accéder à la musique, notamment via le streaming. Comme si l’abondance des propositions finissait par tuer le désir et l’envie. Et comme je m’intéresse à pratiquement toute la musique depuis le Moyen-Âge jusqu’au contemporain, cet accès illimité à toutes les nouveautés a quelque chose d’étourdissant et finalement d’un peu excessif. Générant beaucoup d’attentes déçues… ; un peu en difficulté avec le piano, sans doute parce que trop d’attente… et plus tout à fait la possibilité de me laisser porter. Antonio Porchia « Rien de plus qu’un infini d’attentes et que la fin d’un infini d’attentes. Rien de plus. Nada más que un infinito de esperas y el fin de un infinito de esperas. Nada más. (Antonio Porchia, voix réunies, traductions Danièle Faugeras, Po&Psy, n° 376, Erès, 2013)
Or lisant
Or lisant le livre de Laetitia Le Guay sur Bartók, je me rends compte à quel point ma vie est infusée de musique… que j’ai d’immenses connaissances acquises au fil de l’eau depuis l’adolescence, compositeurs, instruments, techniques, courants, interprètes. Cela m’a notamment ouvert très tôt aux patronymes les plus variés, je le constate aussi en lisant ce livre où tant de noms hongrois me paraissent quasi familiers. Je pense aussi à tous ces musiciens finlandais… Je reviens donc à la découverte, plutôt qu’à la recherche de la satisfaction ou cette impulsion délétère qui voudrait reproduire une émotion, une sensation.
Je rêve
Nouvelle rubrique pour le Flotoir, qui n’est pas tout à fait celle des ‘flacons de sels’, les « je rêve », toutes ces rêveries qui me viennent à la lecture des livres… un peu sur le mode des Je me souviens… ; certains je rêve seront réalisables, d’autres bien sûr, les plus précieux sans doute, irréalisables !
Je rêve de
Je rêve de lire la correspondance de Bartók.
Je rêve d’accompagner Bartók parcourant la Hongrie puis d’autres régions ou pays de l’Europe de l’Est pour collecter des mélodies, organisant des rencontres avec les paysans, arrivant avec son phonographe capable de les enregistrer… « Curieux, impatient, toujours inquiet, il semble à la recherche de quelque chose déjà pressenti », écrit de Bartók le poète Endre Ady (p. 58)
Je rêve de Bartók qui « après avoir recueilli à la campagne, chez s sœur Elza quelques mélodies et des insectes pour sa collection (…) part pour la France, passer les épreuves du quatrième concours Rubinstein. » (p. 57)
Je rêve d’entendre Dinu Lipatti et Clara Haskil jouer Le Divertissement à la hongroise pour piano à 4 mains de Schubert qu’inexplicablement je ne connaissais pas et que je viens de découvrir. (Cet enregistrement n’existe pas ! En tous cas à ma connaissance… C’est un rêve !)
Je rêve de la mise en scène de La Mort de Danton de Büchner qui se joue actuellement à la Comédie française, et cela me fait rêver du Lenz, surtout un presque 20 janvier.
Je rêve avec tous les toponymes et tous les noms propres. Noms de lieux, noms de famille, les bien nommés, résonnant de tout leur antérieur, parfois fabuleux. Avec leurs racines qui plongent loin, si loin… Porchia encore « celui qui ne remplit pas son monde de fantômes, il reste seul – Quien no llena su mundo de fantasmas, se queda solo. » (n° 52)
Et je me rends compte rédigeant ces quelques « je rêve de » à quel point je vais naviguer constamment dans l’anachronisme, voire dans les problèmes de temps des verbes !
La collecte
Fascinante et profondément émouvant cette collecte ethno musicologique de Béla Bartók et Zoltán Kodály. « Tandis que Zoltán Kodály se consacre aux seuls chants hongrois, Bartók élargit peu à peu ses recherches aux répertoires slovaques et sicules à l’intérieur de la Hongrie de l’Empire, puis roumains, arabes et turcs. (…) En 1931, l’ouvrage The hungarian Folk song, publié en Angleterre, comprenait sept mille huit cent quatorze chants réunis par Bartók, Zoltán et Emma Kodály, Akos Garay, László Lajtha, Antal Molnár et Béla Vikár.
Endre Ady
Bartók s’intéressait manifestement à la poésie. Il envoie ainsi à son ami roumain János Buşiţia
Sur le char d’Elie d’Endre Ady « en lui indiquant ses poèmes préférés dont ‘Hongrie hivernale’. Le texte évoque une nuit froide, la plaine blanche, un train qui file, des hameaux qui dorment et de grands vents qui fredonnent un chant qui aide à s’endormir. Au milieu, ce vers ‘Mon âme est là, sous la neige.’ (p. 67). Nous revoilà, trains mis à part, avec Schubert, en plein Voyage d’hiver.
Un thème
Bartók connait un amour déçu pour une toute jeune fille, Stefi Geyer et créera un concerto de violon sur un thème inspiré de son nom, un arpège descendant de septième sur ré – fa# – la – do #. Et tandis que je tape ces noms de note s’éteint le thème du divertissement à la hongroise que j’ai écouté dans une seconde version, celle d’Andreas Staier et Alexander Lubimov.
Photographie
Toujours beaucoup de plaisir et de profit à lire cette lettre que le formateur en photo Jean-Christophe Dichant envoie à certains, tous les jours !
« Peter Lindbergh, Annie Leibovitz, Gregory Crewdson, Edward Burtynsky, Joyce Tenneson, Jean-Pierre Sudre, Patrick Zachmann, Lucien Clergue, Patrick Faigenbaum, Antoine d’Agata, Sophie Calle et même JR. Je pourrais vous en citer bien d’autres. Tous ont développé une technique particulière pour faire ressortir les détails dans leurs photos en noir et blanc. »
→ Et il est vrai qu’hier regardant sur l’iPad un album de photos récent, j’ai eu un petit choc très plaisant en arrivant sur certaines photos que j’avais traitées en noir et blanc, donc pour l’instant sans aucune formation. Sans attention spéciale ni à la prise de vue, ni au post-traitement, à part quelques tâtonnements.
Les quatuors de Bartók
Monuments de l’histoire de la musique ! Laetitia Le Guay leur consacre de belles pages dans son Bartók : le « Quatuor n° 1 ouvre la série des six partitions extraordinaires qui vont s’échelonner sur trois décennies, de 1909 à 1939. Toutes différentes mais en profonde unité de langage, elles ont en commun puissance expressive, imagination et rigueur formelle. On y trouve des angulosités, des saccades rageuses, mais aussi des textures mystérieuses, des surgissements de cantilènes envoûtantes. Du point de vue instrumental et sonore, Bartók recourt à toutes les possibilités qu’offrent les cordes, qu’il connait bien sans oublier les modes de jeu des villageois. Sur le plan harmonique, il intègre les avancées du discours musical de son temps, autant que les richesses des musiques paysannes anciennes : modalité, polytonalité, modes, diatonisme, chromatisme et dissonances. » (p. 88).
[je me lance dans l’écoute avec partition du 1er quatuor, musique difficile, très complexe, c’est bien de suivre avec la partition, j’écoute le premier mouvement, très long.]
Un merveilleux portrait de Bartók
Dans le livre de Laetitia Le Guay, ce beau portrait du compositeur : « journal de Béla Balázs, 1911. ‘Le 20 août, nous sommes allés à Waidberg. Avec Zoltán [Kodaly], sa femme et Béla Bartók, nous avons vécu ensemble, là-bas, pendant deux semaine. Sur un sommet solitaire dans la montagne, au milieu d’une forêt de sapins, nous habitions une petite cabane, avec une porte en tissu qu’on pouvait fermer en la boutonnant. Nus toute la journée, à jouer au ballon, à faire de la gymnastique, à se baigner. Bela Bartók est l’homme le plus émouvant le plus merveilleux qui soit. Lui aussi, il s’est déshabillé, tout nu. Même quand il courait après le ballon, son petit corps frêle, fragile, tout en finesse, avait l’air de se mouvoir comme s’il était vêtu d’une chasuble devant l’autel sacré. Il y a en lui une dignité et une distinction incroyables, magiques. On pourrait l’écorcher, lui retirer la peau, mais pas cette dignité qu’il rayonne à son insu (…) Il voyage avec un sac à dos et dix boîtes de cigares, qui sont pleines d’insectes et de mouches : il les collectionne (…) Pendant ce temps, il a travaillé à l’orchestration de Barbe-Bleue six à huit heures par jour. » (p.97)
La question de l’énergie
« Chez Bartók, la question de l’énergie est fondamentale. » et un peu plus loin « Le langage de Bartók est aussi lié à la langue hongroise : avec un accent sur le premier temps, puis un diminuendo dans l’évolution. ».
La grippe espagnole, un rappel.
Bartók la contracte mais en réchappe, ce qui ne sera pas le cas d’Apollinaire ou d’Egon Schiele. (p. 122).
Le glissandi de timbales
Et dans ce même temps où je lis le livre de Laetitia Le Guay, Christian Merlin sur France Musique a consacré plusieurs émissions à l’orchestre de Bartók. Il y parle notamment du glissando de timbales, expliquant qu’une pédale a été introduite sur les timbales au XIXème siècle qui permet ce glissando, si caractéristique de l’œuvre de Bartók. On l’entend très bien à 2’02 de cette courte vidéo, très intéressante, de présentation de l’instrument.
Je rêve
Je rêve de jouer des percussions, mais aussi de la batterie, rêve un peu paradoxal pour quelqu’un réputée n’avoir « aucun sens du rythme ». J’ai aussi été cataloguée dans mon enfance comme chantant faux et comme n’ayant aucun don pour les langues étrangères. Tout cela me laisse rêveuse, quant aux conséquences mais aussi quant à la transcendance de ces assignations qui fut possible, au fil du temps, mais avec beaucoup, beaucoup de travail et de détermination. Mais je ne joue pas de la timbale et je ne chante pas. Je rêve de devenir experte des rythmes. Je rêve d’être aux côtés d’Alain Daniélou quand il étudiait les rythmes de la musique indienne. Je rêve de jouer des tablas. Je rêve du moment où après le solo instrumental, les tablas font leur entrée. Je rêve aussi de ce tambour médiéval que l’on entend dans certains disques. Affaire de résonances.
Je rêve d’être dans la salle de concert le 1er juillet 1927 quand Bartók crée son premier concerto de piano, lui-même le jouant, sous la direction de Furtwängler.
András Schiff et Bartók
Je suis conduite par une allusion de Laetitia Le Guay vers des vidéos YouTube où le pianiste András Schiff évoque certaines pièces de Bartók et tout particulièrement ‘la musique de la nuit’ de La Suite en plein air. Qu’on peut rapprocher à certains égards des Pas sur la neige de Claude Debussy. Magnifique leçon de musique, porte grande ouverte dans la partition. Il montre comment certain petit motif est typique de l’accentuation de la langue hongroise (la vidéo est en allemand) – C’est aussi profondément émouvant.
Il y a quelque chose de lancinant dans le petit thème chromatique récurrent tout au long de la pièce, comme dans celui des pas sur la neige de Debussy, un thème qui prend presqu’une valeur ontologique, universelle, celle peut-être d’un mouvement presque sur place, plutôt une vibration qu’un mouvement au demeurant.
Géographie musicale
Dans un article d’informations diverses de Poesibao ce matin, j’évoquais un livre sur la géographie littéraire, sujet qui me passionne, il y aurait aussi la géographie musicale. « Bartók passe l’été 1927 à Davos auprès de Ditta [sa seconde épouse] qui séjourne au sanatorium de Guerdaval pour des problèmes pulmonaires. L’établissement est plus modeste que le sanatorium de Berghof, entré, lui, dans la littérature grâce à La Montagne magique. Le sanatorium de Ditta est celui où Szymanowski passe de longs mois en 1929, pour tenter d’endiguer la tuberculose qui finalement l’emporte quelques années plus tard.
Des modes de jeu du violon
Tant de manières de jouer le violon, bien au-delà du simple glissement de l’archet sur la corde ! Et tellement audibles dans les quatuors de Bartók ou de Chostakovitch. À propos du 3ème quatuor de Bartók ; Laetitia Le Guay écrit : « L’œuvre abonde en contrastes : de tempi, de dynamiques, de textures, de modes de jeu (pizzicati, glissandi, trémolos, archets col legno – frappant avec le bois de la baguette – jeu sul ponticello – sur le chevalet – ) , qui donnent variété, intensité et expressivité à la partition. » (p. 156)
Bartók, Klee, Ligeti
Beaux rapprochements encore entre Bartók, Paul Klee et Ligeti. En fait il n’y eut pas vraiment de rencontre entre Bartók et Klee et c’est Ligeti qui voyait une correspondance entre leurs univers : « On trouve chez Klee, lié à Bartók par une étroite affinité intérieure, tout un monde à observer à la loupe, des organismes minuscules et pourtant différenciés, ainsi qu’une même plasticité des détails qui se fondent cependant en un tout cohérent. Il y a la même attitude expressive, retenue, quasi objective et pourtant pleine de force qui semble se prolonger dans une dimension magique » (Il s’agit de propos de Ligeti portant sur Mikrokosmos, dans Écrits sur la musique et les musiciens). (p. 157)
De l’attente
Il peut, il doit peut-être y avoir attente, c’est une forme du désir, mais pas attente de la répétition, qui de toutes façons ne viendra pas, identique, de la réitération de l’émotion fugace mais plutôt attente de ce qui peut à nouveau surprendre, émouvoir, me parler dans cela que j’écoute.
Sur la table !
Avant ce livre, qui y insiste plusieurs fois, je n’avais jamais imaginé que Bartók était plutôt petit de taille. Voilà une merveilleuse anecdote (comme celle du séjour nudiste avec Kodaly !). Bartók travaille avec quatre musiciens sur le scherzo de son 5ème quatuor, pour sa création hongroise « en fixant les bons tempi pendant la répétition à l’aide d’un métronome avec fil. Pour le scherzo, alla bulgarese, très rapide, mais où le battement est à la mesure, donc très lent, il faut une longueur de fil importante. De petite taille, Bartók grimpe sur une table pour obtenir la hauteur de balancement du pendule nécessaire. » (p. 178)
10 000 pas ?
Amusant de voir comment des dogmes bien établis, bébés sur le ventre jadis, ou 10 000 pas jour encore tout récemment évoluent. Parfois en sens inverse comme pour les bébés, parfois par aménagements. Voilà qu’on prône maintenant, selon une étude scientifique, les bienfaits de 5 mn de marche toutes les heures.
→ c’est une intuition que j’avais eue ces jours-ci en effectuant non pas mes 10 000 pas mais mes « kms », séquence de marche en intérieur pendant un km, souvent au moins deux fois par jour ! En écoutant de la musique (en l’occurrence la première Ballade de Chopin jouée par François-Frédéric Guy)
Attila József
Je note dans le livre de Laetitia Le Guay et donc dans la vie de Bartók, la présence des poètes. J’ai déjà évoqué Endre Ady, voici cité Attila József, qui est présent dans Poezibao l’Ancien. (Un entretien avec Guillaume Métayer, en 2010) : « Il y a trois grands poètes hongrois qui marquent trois grandes époques, trois grands styles. Le premier, c’est le poète romantique et révolutionnaire Sándor Petöfi. Le second, c’est Endre Ady, le moment symboliste. Et le troisième, le plus proche de nous dans le temps et par l’inspiration, c’est Attila József, né en 1905 et mort en 1937. »
Hélène Cixous et le poème
Bel entretien mené par Isabelle Baladine Howald avec Hélène Cixous autour de la question de la poésie. Je relève notamment : « La poésie vient de telles profondeurs, très peu de gens sont nés poètes, tant de gens font du poétoc. Ce qui doit fulgurer quand un poème arrive, c’est cette voix, l’autre voix qui arrive dès là-haut, là-bas, des fonds du temps, des couloirs et des rues de la nuit, et qui chante et qui souffle la phrase.
Quand je suis poète, rarement, je suis en train de ruminer comme je fais le matin, énormément de choses se proposent choses-mots choses-visions choses-pensées me traversent le cerveau, ‘tiens il y a une phrase passe’ hop je la prends, et je vais la poser sur une feuille de papier où elle palpite. Je lui vois un avenir incroyable. »
Qui dicte ?
« Qui dicte pour moi, c’est une question qui est là, tout le temps. Elle ne s’éteint jamais, c’est le mystère. Il y a des sources, des présences, mais qui ? Je ne le sais pas. Ce qui est sûr c’est que je ne pense pas que ce soit moi. C’est ce qui m’échappe, ce qui vient. C’est le mystère le plus absolu. Maintenant si je rationalise, ce qui dicte, le dicteur ou la dictrice, c’est une force derrière moi, comme pour la création terrestre, physique, du monde, c’est l’accumulation d’émotions, de formes d’art de tous genres. C’est une sédimentation gigantesque, on pourrait dire aussi que c’est l’inconscient mais ça ne suffit pas. C’est ce que le temps a rassemblé, déposé, quelque part derrière l’âme, et qui envoie des messages. C’est comme la lumière, il y a des millions d’années qu’elle voyage, elle arrive, qu’elle arrive, c’est le mystère. Cependant il y a quelqu’un au bureau, le ou la secrétaire – c’est moi, la réceptionniste, quelqu’un qui reçoit, et qui est née pour ça, pour recevoir les messages. Il faut recevoir. Il faut savoir recevoir. Être prophète. Tout le monde ne sait pas recevoir. Ça ne veut pas dire recevoir des messages des au-delà. C’est très proche de la mystique. Oui on reçoit des messages. C’est l’expérience des gens qui sont en état de musique, que ce soit les compositeurs, les amateurs ou les interprètes. Je ne suis pas compétente dans ce domaine, mais à chaque arrivée de musique, je me dis : c’est le paradis ! C’est tellement bouleversant que ce soit des langues sans mots mais ce sont des langues, et qui provoquent des frissons, des tremblements de joie sans condition. Il suffit d’écouter. C’est donné à l’humanité, c’est une sorte de joie suprême. La littérature ce serait ça, sauf qu’à cette joie de la musique, s’ajoute que la littérature exige qu’on pense. La littérature est travailleuse. »
Renoncer au savoir
Question récurrente dans ce Flotoir avec ce sentiment d’en être incapable, tant savoir est un trésor. Cixous et Derrida, pour m’aider, toujours dans l’entretien avec Isabelle Baladine Howald qui pose des questions plus que pertinentes, essentielles : « Hélène Cixous : Derrida dit, ‘renoncer au savoir’. Que dit Derrida quand il écrit ça, ‘on te demande de savoir renoncer au savoir’.
Savoir ne pas savoir, ce n’est pas renoncer au savoir, être ignorant, pas du tout, c’est renoncer à la dimension de savoir qui est de l’ordre d’une libido de maîtrise, de vouloir s’approprier quelque chose. On ne peut pas s’approprier en littérature, ou en poésie. En philosophie oui, on s’approprie. On utilise ou on immobilise avec les concepts. Derrida dit qu’ ‘un concept est cuit’ dès qu’il est saisi par l’écriture. Ce n’est pas du tout au savoir qu’on renonce. On renonce à la capture. Le savoir ne doit pas être l’empereur de tout ce que l’on fait, il est là, c’est un bon artisan, un bon jardinier, un bon bâtisseur, il fait tous les métiers, et il est indispensable mais ce n’est pas une fin. C’est un système d’outils à partir de quoi on saute dans l’inconnu… et il faut sauter dans l’inconnu où on ne sait pas. »
L’indéfinissable
Je reprends ‘mon’ Valéry dont je sais qu’il va m’accompagner sans doute pendant des semaines. Le texte est tellement dense, on s’arrête presque à chaque pas, ou à chaque tournant, se trouvant soudain devant une nouvelle perspective. Une idée qui élargit la vue à un point inouï surtout en ces temps où la pensée parait souvent si limitée, si binaire, pour ne pas dire franchement bornée. Ou la répétition du même, ad nauseam, sévit partout, dans presque tous les médias. De nouveau, je fais une exception pour Le 1 l’hebdo avec sa saine pratique du thème unique, chaque semaine et ce travail du thème, par angles divers, avec des contributeurs qui ne sont pas forcément ceux que l’on attend. Les deux derniers numéros, sur le nucléaire et sur Israël, m’ont indéniablement fait bouger dans mes approches, ébranlant des certitudes établies un peu hâtivement, pour ne pas dire directement importées de je ne sais où. Dans le numéro sur Israël, un beau texte notamment de Delphine Horvilleur.
Bon, Valéry, disais-je : « Tout ce ceci se résume en cette formule que : dans la production de l’œuvre, l’action vient au contact de l’indéfinissable » (p. 108) et on peut dire qu’Hélène Cixous se situe là dans le prolongement de ce propos de Valéry. Il y a d’une part explique Valéry « l’indéfinissable, d’autre part une action nécessairement finie ; d’une part un état, parfois une seule sensation productrices de valeur et d’impulsion, état dont le seul caractère est de ne correspondre à aucun terme fini de notre expérience ; d’autre part l’acte, c’est-à-dire la détermination essentielle, puisqu’un acte est une échappée miraculeuse hors du monde fermé du possible, et une introduction dans l’univers du fait. (…) Chez l’artiste, il arrive en effet – c’est le cas le plus favorable – que le même mouvement interne de production lui donne à la fois et indistinctement l’impulsion, le but extérieur immédiat et les moyens ou les dispositifs techniques de l’action. Il s’établit en général un régime d’exécution pendant lequel il y a échange plus ou moins vif entre les exigences, les connaissances, les intentions, les moyens, tout le mental et l’instrumental, tous les éléments d’action d’une action dont l’excitant n’est pas situé dans le monde où sont situés les buts de l’action ordinaire, et par conséquent ne peut donner prise à une prévision qui détermine la formule ses actes à accomplir pour l’atteindre sûrement. » Là encore fort écho avec les propos d’Hélène Cixous relevés ce matin dans son entretien avec Isabelle Baladine Howald. Qui dicte ?
Au moment de ma lecture de ce passage a surgi l’idée du livre de la correspondance entre André du Bouchet et Jean-Michel Reynard, car je pensais à ce moment-là que son titre était Regard de l’indéfinissable. Or, ce n’est pas tout à fait cela, c’est Regard de l’indifférencié.
Tout est désordre
Valéry toujours : Dès que l’esprit est en cause, tout est en cause ; tout est désordre, et toute réaction contre le désordre est de même espèce que lui. C’est que ce désordre est d’ailleurs la condition de sa fécondité : il en contient la promesse, puisque cette fécondité dépend de l’inattendu plutôt que de l’attendu, et plutôt de ce que nous ignorons, et parce que nous l’ignorons, que de ce que nous savons »
Et à la fin de ce paragraphe, cette remarque essentielle « Je m’efforce de ne jamais oublier que chacun est la mesure des choses », formule inspiré par Platon, dans le Théétète ‘l’homme est la mesure de toutes choses, de l’existence de celles qui existent et de l’inexistence de celles qui n’existent pas. » (p. 109)
De la poésie
Et l’on en vient à cette importante considération sur la poésie, « la constitution de la poésie qui est assez mystérieuse. Il est étrange que l’on s’évertue à former un discours qui doive observer des conditions simultanées hétéroclites, conditions musicales et conditions rationnelles, et qui soit une liaison suivie et constamment entretenue entre un rythme et une pensée, entre le son et le sens. Ces parties n’ont aucune relation entre elles. À quoi bon tout ceci ? L’observance des rythmes, des rimes, des sonorités gêne les mouvements de ma pensée, et voici que je ne dis plus ce que je veux. Mais qu’est-ce donc que je veux ? Eh bien, il faut vouloir ce que l’on doit vouloir pour que la pensée, le langage et ses conventions, le rythme et les accents de la voix s’accordent, et ceci exige des sacrifices réciproques. Le plus remarquable est celui que consent la pensée, et qui se marque dans le langage. Je veux dire que c’est celui qui nous est le plus sensible ! Comme il y a une pensée poétique, il y a un langage poétique : en lui, les mots ne sont plus les mêmes mots que dans l’usage; ils ne s’associent plus selon les mêmes attractions ; ils sont chargés de deux valeurs simultanément produites, et d’importance équivalente, le son et le sens. Il faut songer alors à ces nombres complexes dont se servent les géomètres ; et la variable phonétique accouplée à la variable sémantique, cela engendre des problèmes de prolongement et de convergence que les poètes résolvent les yeux bandés ; mais ils le résolvent, et c’est l’essentiel, de temps à autre… » (p. 111)
De la lecture
Jean-Michel Reynard écrit à André du Bouchet, à propos de son livre Révolu : « J’entreprends ma lecture mais aussitôt s’avère une lenteur, une émanation, ce battement – et rien qu’à vous écrire maintenant, c’est comme s’il me prenait aux tempes – , du frein des pages qu’on tourne. Lire, somme toute, je le réapprends de vous, c’est, au moins, deux temps, deux gestes composés : le partage – tourner – , la modification de l’épaisseur à lire (traverser) : chaque page tournée augmente le lu, l’épaissit, érodant d’autant à l’avenir (…) lire, comme parler, faire voix ou signe – modifie, modèle, module – altère qui je crois être, assis à table, ‘présent’ au livre. » (pp. 35 et 36). Toute cette lettre d’octobre 1977, une des premières du livre est saisissante.
Sa traverse
Autre lettre de Reynard à du Bouchet sur Le linteau en forme de joug : « Sa traverse, encore qu’inachevée pour moi – je veux dire, son pouvoir d’exigence et de don sont tels que je vous en parle comme d’à mi-chemin, pris dans ses strates, quelque part dans l’inclusion. Ce mot me vient, sans doute, parce qu’il me paraît – vous l’employez souvent, ici – vaporiser, de place en place, les états, ou étapes, d’une parole encastrée, insérée, incluse donc, mais non enclose (…) (p. 39)
Elle n’est pas facile la lecture de Jean-Michel Reynard, sa phrase est complexe, pleine d’incises, la ponctuation abonde, mini-césures, reprises d’un souffle un peu haché, dans la continuité de la prose.
Photos, fotos
Cette idée d’écrire sur les photos, celles qui tout en me parlant me déparlent, me donnent ce sentiment d’autre. Il y a là quelque chose à trouver qui tient à la photo sur laquelle j’ai comme une réflexion (sur ma pratique, sur ce qu’est une photo, sur ce que me font certaines photos). La photo dans laquelle on entre très concrètement dans le temps, son éternité fixe. Jean-Michel Reynard (p. 40) « cette couleur où tout un rapport au monde se désolidarise des représentations connues. ». Cela ne servirait à rien de tenter de décrire, de manière conventionnelle, ce qu’il y a sur la photo ! Mais qu’y a-t-il dans ou derrière la photo ?
Photo encore : où suis-je quand je regarde une photo – la photo que je regarde mentalement (elle n’est pas sous mes yeux) – la photo que je regarde réellement (elle est là, sur l’écran ou sur le papier, dans le livre ou sur le mur) ?
« Ce que fait, dit et laisse-être en moi votre livre » écrit encore J.-M. Reynard à André du Bouchet, qui parle de « commotions de présence. »
Et quelques jours après ces premières notes, je lis : « Die Weite Erde da liegt, wie ein Räthsel, dem das Word der Lösung fehlt ». Dans un grand article de Bernard Umbrecht sur un texte retrouvé tardivement, attribué à Hölderlin, Communismus der Geister, Communisme des esprits. la phrase est ainsi traduite : « La vaste terre se trouve là comme une énigme dont il manque le mot ».
Mikrokosmos
Plaisir à lire l’évocation de cette partition si importante de Bartók, dans le livre de Laetitia le Guay tout récemment achevé : ces pièces parfois très courtes, qui ont l’apparence d’une méthode. « Cent cinquante-trois pièces, réparties en 6 Cahiers de difficulté progressive (…) Mikrokosmos est une somme. La partie et le tout s’y conjuge : la partie dans la minutie de chaque pièce (pièces d’une à deux minutes en grande majorité), le tout dans une variété des approches et des sources. L’univers bartokien s’y déploie dans une incroyable diversité de rythmes, modes, caractères, sources d’inspiration. Mikrokosmos est à la fois une grammaire harmonique du compositeur et une manière d’album où s’effeuillent des moments poétiques, drôles et énergiques. » (une vidéo YouTube avec l’intégrale des Mikrokosmos, avec la partition. C’est un peu ingrat, certes, à écouter ainsi ! On peut se porter un peu plus loin, par exemple vers la fantaisie chromatique à 1h06.)
Cette impression soudain
Cette impression soudaine entendant à la radio la 1ère Ballade de Chopin jouée par Gabriel Tacchino qui vient de mourir que cela pourrait bien être, non que cela est, sans aucun doute possible, la version princeps, celle que j’ai écoutée, réécoutée à l’adolescence, ce microsillon 33 tours petit format avec les 4 ballades… ces interprétations premières qui nous marquent de telle façon qu’il est parfois ensuite difficile de s’en déprendre. Peut-être pas les 4 ballades, mais cette première ballade et la Polonaise héroïque ? Ce disque, parmi d’autres, cadeaux tellement inspirés de ma grand-mère qui allaient sceller ma décision de ne pas abandonner le piano vers 12 ou 13 ans !
Or, hélas, désannonce du disque, enregistré en 1989, donc ça ne colle pas du tout comme date. J’ai eu envie de tricher en mettant de côté cette donnée mais je n’ai vraiment pas une âme de tricheuse et de me taire cette déconvenue. Et pourtant je suis tellement sûre que c’est cette version-là dont j’ai été nourrie. J’ai eu le sentiment de reconnaître chaque note, chaque attaque, chaque nuance.
In silico
Je découvre cette expression hier, dans un grand article consacré à l’apport de l’intelligence artificielle à la recherche médicale. Elle permet déjà de faire des expériences in silico et plus seulement in vitro !